L’ENTRETIEN D’UN CHAR LEOPARD:UNE BELLE PROUESSE
Comment garder une bete de 60 tonnes en forme?
21 mars 2019, base militaire de l’OTAN à Bergen-Hohne, en Allemagne. Le 414e Bataillon Blindé germano-néerlandais vit après sa création en 2015 sa première passation de commandement officielle. Les cuirassiers néerlandais du 414 forment en ce jour l’avant-garde pour la réintroduction du légendaire char de combat Leopard 2 au sein de la Koninklijke Landmacht. Le 414 permet à nouveau aux Pays-Bas, après le dernier tir d’un Leopard néerlandais en 2011, de s’entraîner avec les chars. Mais comment l’Armée de Terre doit-elle garder cette bête de 60 tonnes en forme?
PERIODE TROUBLEE
Avec la chute du Mur en 1989, l’ère du char semblait, après huit décennies, révolue. Mais les escarmouches incessantes dans l’Est de l’Ukraine et l’annexion de la Crimée en 2014, ainsi que la guerre en Syrie, ont ranimé la crainte du retour d’un monde bipolaire. La course à la modernisation à grande échelle des forces armées russes n’incite pas non plus à la détente. Ajoutez à cela l’appel des Américains à l’Europe à fournir les efforts promis en matière de défense, et vous comprendrez aisément ce qui a poussé l’OTAN et le gouvernement néerlandais à réintroduire le char Leopard. Le 414e Bataillon de Blindés, s’entraînant dans les landes étendues autour de Bergen-Hohne, représente un premier pas. La nouvelle unité blindée, dont les chars sont issus d’un leasing de la flotte allemande, est engagée depuis le début de cette année comme contribution germano-néerlandaise à la force de réaction rapide de l’OTAN, au moins en tant que garantie contre toute ingérence indésirable, mais le cas échéant également comme instrument réel.
ACTIF CRITIQUE
Etant donné qu’une machine constitue un élément vraiment essentiel pour une entreprise de fabrication, un char peut être considéré pour les Forces Armées comme un actif critique, devant donc être utilisable et disponible au maximum. Avec un poids de 60 tonnes (env. 50 voitures moyennes) et un moteur de 1.500 CV (l’équivalent de 15 moteurs de ces mêmes voitures), d’énormes forces agissent toutefois sur le Leopard 2. Surtout lorsqu’il fonce à 60 km/ heure – une vitesse plus qu’honorable pour un véhicule aussi lourd – dans les landes accidentées, humides et sableuses. Sans parler du recul généré par les tirs du canon de 120 mm. Il est donc clair qu’un entretien optimal est essentiel pour ces chars de combat.
CONNAISSANCE ET INFRASTRUCTURE
Institut d’entretien allemand
L’entretien des chars Leopard 2 est confié au HIL, ou Heeres Instandsetzungs-Logistik GmbH, un accord de coopération partiellement privatisé entre l’armée allemande et l’industrie de la défense allemande avec des militaires et des collaborateurs civils. Ce partenariat est chargé de garder les véhicules de l’armée prêts à être utilisés et peut disposer pour cela d’un certain nombre de grands ateliers disséminés en Allemagne. Depuis sa création en 2005, le HIL a acquis la connaissance et l’expérience nécessaires pour pouvoir garder des véhicules aussi complexes et lourds que le Leopard 2 opérationnels.
Connaissance néerlandaise
Le Sergent-1 Bart, affecté au 414, est un des trois mécaniciens néerlandais employés au HIL. Avec une préparation technique, le sergent a rejoint il y a 18 ans la Défense, où il a obtenu à la Koninklijke Militaire School son diplôme de Premier Mécanicien et a ensuite été affecté au service ‘entretien des chars’. “Ces huit dernières années, après la vente des derniers chars néerlandais, une bonne partie des connaissances néerlandaises en matière de chars se sont perdues”, commence Bart. “Il est pourtant tout à fait possible qu’il faille à nouveau plus de mécaniciens spécialisés dans les chars ces prochaines années.” (ndlr: à la mi-décembre l’an dernier, la ministre néerlandaise de la Défense Ank Bijleveld a déclaré qu’une puissance offensive sur terre s’imposait à nouveau. Bijleveld visait ici très certainement les chars) “Dès que cela sera clair, l’embauche et la formation de ces spécialistes reprendront à coup sûr. Et nous pourrons tout à fait y contribuer, vu les connaissances que nous avons acquises ici.”
INSPECTION PERIODIQUE
La première phase de l’entretien est l’inspection. C’est pourquoi Bart et ses collègues du 414 contrôlent périodiquement le fonctionnement de l’entraînement, du train de roulement, de la commande, des systèmes d’armes, de l’électronique, de l’éclairage, des systèmes d’extinction d’incendie et l’étanchéité à l’eau pour les gués profonds. Cette inspection peut se faire directement sur la base. Les chars ne doivent donc pas se rendre dans un atelier HIL externe. “Un char a des points d’inspection bien spécifiques”, précise Bart. “Lorsque vous démarrez p.ex. un moteur de Leopard 2, il aspire tellement d’air qu’il risque de vider l’espace de l’équipage. Une sécurité est donc prévue, évitant tout démarrage de moteur avec les trappes fermées. Il s’agit là d’un bel exemple de fonctionnalité critique que nous soumettons régulièrement à une inspection.”
ENTRETIEN REACTIF
D’après Bart, un entretien préventif ou lié à l’état du Leopard est rare. Le Leopard marche, ou il ne marche pas. “En raison des conditions changeantes – le temps, mais aussi le terrain, il est quasiment impossible de prédire des problèmes d’entretien. C’est pourquoi le HIL reste fidèle à certaines procédures d’entretien pour le service, les fuites d’huile, le remplacement des freins ou les réparations au niveau de l’entraînement et du train de roulement. Les protocoles fixes garantissent une standardisation optimale de l’entretien. L’équipage peut toujours s’attendre à la même disponibilité, quel que soit le char reçu.”
Conception facile à entretenir
Comme pour les machines de production complexes dans l’industrie, il existe une zone de tension naturelle entre utilisation et entretien. “L’utilisateur veut pouvoir utiliser la machine le plus vite possible, tandis que l’équipe d’entretien souhaite la remettre aussi parfaitement que possible en état. Lors de la conception du Leopard 2, on a heureusement bien réfléchi à l’entretien. Il ne faut qu’une petite demi-heure pour soulever le moteur entier hors du véhicule et le tester et contrôler ensuite complètement à l’aide d’un système d’essai de moteur. Tout le système d’entraînement est, en outre, analogue et tout est facilement accessible pour les mécaniciens.”
Zone de tension Rapidité-Sécurité
“Malgré la conception favorisant un entretien aisé, les circonstances vous poussent parfois à faire quelque chose en vitesse. Le char doit, par exemple, vite reprendre un exercice ou doit être préparé pour une mission à l’étranger. Et c’est justement dans de tels cas qu’il faut au contraire être doublement attentif.” Afin de pouvoir garantir la sécurité pendant l’entretien, toutes sortes de mesures sont en tout cas prises. “Des blocages et verrouillages évitent ainsi que le véhicule se mette à rouler par accident pendant l’entretien. Et les personnes chargées de l’entretien ont aussi tous les équipements de protection individuelle (EPI) nécessaires à leur disposition pour pouvoir se protéger efficacement.”
REPARATIONS SUR LE TERRAIN
Vu les conditions difficiles dans lesquelles le Leopard 2 se retrouve, il est évident que des mesures ont également été prises pour pouvoir assurer un entretien sur le terrain. Les Compagnies de Réparation spéciales doivent assurer un entretien rapide ou de plus petites réparations sur le terrain. “Notre travail est un peu comparable à celui de l’assistance routière”, explique un collaborateur de la 43e Compagnie de Réparation. “Outre le ‘Buffle’ (chars de dépannage Leopard pour remorquer des véhicules en panne ou déplacer de lourdes charges), nous disposons aussi d’ateliers mobiles bien équipés, avec lesquels nous pouvons rapidement remettre les véhicules sur la route. Par tous les temps et à des heures indues.”
LES PAYS-BAS POSSÈDENT TOUJOURS L’EXPERTISE POUR L’ENTRETIEN DES CHARS DE COMBAT LEOPARD ET APPARENTÉS
Famille avec le même train de roulement
Bien que l’entretien du Leopard 2 repose depuis un moment déjà sur les épaules de l’équipe d’entretien germano-néerlandaise du HIL, l’atelier central de MatLogCo (Materieellogistiek Commando Land) à Leusden connaît lui aussi bien ces véhicules. Cette unité est, en effet, chargée de l’entretien de tous les systèmes de terre des forces armées néerlandaises, et donc aussi de l’entretien du Buffle qui est, vu la conception dérivée, très similaire à celui du Leopard 2. “Cela fait hélas un moment que nous ne voyons plus ce Leopard 2 ici à Leusden,” déclare le lieutenant-colonel Paul, Responsable Réparation de Système au sein de MatLogCo, “mais nous possédons toutes les connaissances pour l’entretien du Buffle, du Pantserhouwitser 2000NL et du nouveau char de percée du Génie Kodiak (tous dérivés comme le Buffle de la conception du Leopard 2).”
Directement à nouveau opérationnel?
Une des différences par rapport à l’entretien civil est, d’après le lieutenant-colonel, l’urgence. “Parfois, un véhicule doit être rapidement à nouveau disponible pour une mission ou un exercice. Vous faites alors uniquement ce qu’il faut pour que le véhicule soit rapidement à nouveau opérationnel. Coûte que coûte. L’efficacité est alors la priorité.“
Aide à distance
MatLogCo assure aussi 24 h/24, 7 jours/7 une fonction de helpdesk pour les unités sur le terrain ou en mission. “Des problèmes que les Compagnies de Réparation ne parviennent p.ex. pas à résoudre au Mali ou en Afghanistan, peuvent être examinés via des communications téléphoniques sécurisées avec les spécialistes de MatLogCo.”
PIECES DE RECHANGE
Parfois, il faut faire preuve de créativité
Les nombres de production relativement petits des véhicules militaires ont en toute logique aussi un impact sur la disponibilité des pièces de rechange.
“Alors que, pour un pot d’échappement cassé de votre Ford Fiesta, le problème est résolu en quelques heures ou jours, cela peut prendre quelques mois pour un véhicule blindé Boxer ou Fennec. Dans certains cas, le fabricant ou sous-traitant doit même faire fabriquer des pièces cruciales spécifiquement. Les mécaniciens de MatLogCo font donc leur shopping sur d’autres sites ou même chez des collègues dans d’autres pays de l’OTAN. Si un même véhicule avec un autre problème s’y trouve, il se peut que la pièce soit trouvée. Cela fonctionne toutefois bien sûr dans les deux sens.”
Composants de la propre flotte
Lors de processus d’achat, MatLogCo regarde aussi directement le profil d’entretien du candidat. Certaines pièces se trouvent-elles p.ex. déjà dans le parc de véhicules présent? Les Leopard 2, Buffle, Pantserhouwitser et Kodiak ont de nombreuses pièces du train de roulement en commun, ce qui favorise fortement l’efficacité en cas d’entretien.
Apprendre les uns des autres
A l’instar du HIL allemand, MatLogCo emploie de nombreux techniciens civils. “Un tout autre monde que celui du militaire sur le terrain”, déclare le lieutenant-colonel. “Nos techniciens civils sont parfois stupéfaits quand ils voient arriver un véhicule complètement négligé et sale. Jusqu’à ce que ces mêmes techniciens partent aussi en exercice et découvrent par eux-mêmes les conditions d’utilisation. Ils comprennent alors pourquoi un moteur a p.ex. été poussé loin dans le rouge. Cela donne régulièrement lieu à des discussions instructives, également pour l’utilisateur. Le même résultat peut aussi être atteint avec moins de dommages. Mais le point de départ doit toujours être: train as you fight.” Ce qui signifie que, pendant un exercice, les véhicules doivent être sollicités aussi lourdement qu’en situation réelle ...